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Pour l'amour des gorilles
Pour l'amour des gorilles
NATURE
Ces primates sont nos cousins. Despina Chronopoulos se bat pour leur survie.
G ARE aux gorilles? Gare aux hommes! Ce pourrait être la devise de Despina Chronopoulos. Ce petit bout de femme a consacré une bonne partie de sa jeune existence à défendre la cause des gorilles. Les animaux, elle les aime tous et depuis toujours, comme elle aime, infiniment, l'Afrique, les forêts et l'écriture.
Despina Chronopoulos est une vagabonde: grecque d'origine, née en Autriche de parents musiciens, elle effectue un premier séjour, initiatique, au Kenya lorsqu'elle a douze ans. Elle y visite des réserves, survole le pays et la voilà définitivement séduite par l'immense continent au point que, dès lors, chaque instant passé loin d'Afrique sera pour elle « comme un exil ». Un peu plus tard, cette rebelle dérobe de l'argent à ses parents et s'envole pour Nairobi. Interpol l'y déniche et la rapatrie. De retour, elle se morfond, s'installe en France, y étudie, s'y marie, participe à une expédition ethnozoologique en Amazonie et aux Galapagos. Des voyages, il y en aura d'autres, qui la « rendent forte », l'Australie, le Zaïre, le Congo. Paris n'est plus qu'une escale, elle sait que ses « racines humaines » sont là-bas et sa raison de vivre, qu'elle ne peut plus trahir ce « pacte d'amour » conclu avec l'Afrique et les animaux qui y souffrent
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Des « bébés » de 70 kilos
Un milliardaire britannique excentrique et passionné, John Aspinall lui confie alors, en 1994, un projet fou qui va combler ses aspirations: la réintroduction de gorilles orphelins dans leur milieu naturel, au Congo. Des bêtes victimes des hommes, des « bébés » de soixante-dix kilos dont les parents ont été massacrés par les braconniers, découpés en morceaux parce que leurs mains, leurs cerveaux, consommés, préservent, assure-t- on, du mauvais oeil et redonnent vigueur aux mâles défaillants. Ces orphelins de sept à onze ans se nomment Kola, Mabinda, Djembo, Titi, Massissa, Kabo. Il s'agit - et la tâche est de longue haleine -, de les rendre à leur habitat naturel, pas à pas, mois après mois, au sein de la vaste réserve de Léfini, 500 km2.
Vivre seuls, se nourrir, s'orienter, ces gorilles en ont, explique Despina, « la capacité technique », mais « la maturité psychologique leur manque », ils sont dépendants, « surimprégnés », stressés par leur long séjour parmi les humains. Pour certains, rendus fous par des années de captivité, il est trop tard.
Ainsi, pendant quatre ans, la jeune femme va se battre afin que la forêt où ses protégés s'ébattent quotidiennement, au sortir de leur cage- refuge, cesse d'être pour eux une « école » pour redevenir un « lieu de vie ». La plupart, dit Despina, sont « comme des enfants bilingues, qui savent s'adapter à l'une ou l'autre ''culture'', les autres ont choisi soit de ne pas quitter le monde des gorilles, soit de s'approcher trop près de celui des hommes. »
Quatre ans de travail aux côtés d'une équipe de Congolais, au coeur de la forêt moite avec la dengue et le paludisme qui rodent. La folie des hommes, une atroce guerre civile menée par les « Cobras », milices fanatisées du président déchu Sassou et celles, guère plus tendres, des « Ninjas », va bouleverser les plans de Despina, la contraindre à regagner, la rage au coeur et la peur au ventre, la France. Un autre projet, plus tard, sera mis en route au Gabon, contrée plus paisible.
Transformés en ragoûts ou en trophées
La jeune femme en convient, ce combat pour les gorilles, apparemment dérisoire, nécessite des sommes importantes et beaucoup parlent de gâchis, évoquent le sort effroyable du continent entier qui se meurt et des enfants, humains ceux- là, qui peinent à y survivre. L'argument, sans cesse brandi, n'ébranle pas les convictions de Despina Chronopoulos et laisser entendre que le sort des hommes l'indiffère serait lui faire injure. Son combat est d'un autre ordre. Les gorilles, que la rumeur et quelques films ont transformé en bêtes sauvages, promptes à tuer, sont, nous dit- elle, des animaux importants, attachants, ils sont nos cousins et ils sont menacés: l'espèce est en voie de disparition, il ne resterait que quelques centaines de gorilles de montagne et entre 20.000 et 100.000 gorilles de plaine, les premiers étant aussi différents des seconds, selon Despina, que le sont les Suisses des Français. Dans le seul Congo, 900 individus, chaque année, sont abattus. Par les braconniers qui tirent sur tout ce qui bouge, crocodiles, singes, transformés en ragoûts ou en trophées de chasse et, indirectement, par certaines compagnies forestières qui dévastent, au bulldozer, leur habitat.
Un QI de 95
Ces primates sont proches de nous, explique l'intarissable Despina, et tellement différents en même temps: « Ils sont introvertis, d'un abord distant, alertes, perceptifs, dignes, connaissant la politesse, l'étiquette. » Intelligents? Assurément: certains ont un QI élevé, 95, ce n'est pas rien. « Capables, pour la plupart, d'affection ». Conscients, pleinement, d'être des gorilles et non des humains. Percevant la mort, la leur comme celle d'autrui. Despina rappelle ce troublant épisode: Koko, gorille femelle, objet d'expérimentation aux Etats-Unis et qui, apprenant la disparition d'un petit chat auquel elle était très attachée, a exprimé, par le langage des signes qu'elle maîtrise à la perfection, son sentiment en trois « mots »: « Mal », « triste », « pleurer ».
Le cas de Michael, compagnon de Koko, laisse également songeur: à la question de savoir où était sa mère, le gorille a « répondu »: « Tête coupée », « viande gorille ».
« Importants », ces primates, au point de pouvoir nous apprendre quelque chose, à nous, maîtres de la planète? « Oui, s'empresse d'affirmer Despina, à réfléchir avant de cogner!»
La « géniale » Dian Fossey
Voilà pourquoi cette amoureuse de l'Afrique et de sa faune lutte aujourd'hui, comme l'a fait, naguère, à sa façon - contestée -, Dian Fossey, cette paléontologue réputée à qui Sigourney Weaver prêta ses traits au cinéma (« Gorilles dans la brume »), et qui connut un sort funeste, massacrée par les braconniers pour s'être penchée sur le sort des gorilles des montagnes zaïroises. « C'était, dit Despina, quelqu'un de génial
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